La Jeune Fille Violaine
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L'Échange
Tête d'Or
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Sous le titre L'Arbre, Claudel en 1901 réunit pour la publication l'ensemble de ce qu'il entend conserver de son premier théâtre, c'est-à-dire les deux versions de Tête d'Or, les deux versions de La Ville et les deux versions de La Jeune Fille Violaine ainsi que L'Échange et Le Repos du Septième Jour jusque-là inédits. Textes de la vingtième à la trentième année environ, ils ont été écrits au départ sans le souci immédiat de la scène, alors que l'influence du symbolisme fin-de-siècle est très sensible chez le poète. Que le cadre soit d'un univers non précisé (Tête d'Or), d'une révolution urbaine (La Ville), de la campagne française (La Jeune Fille Violaine), d'un rivage du Nouveau Monde (L'Échange) ou encore des anciens rites de la Cour de Chine (Le Repos du Septième Jour), on retrouve les mêmes caractéristiques dramaturgiques : une intrigue élémentaire mais présentée de façon brutale et inattendue, des personnages tout d'une pièce mais pris dans une situation dont la portée philosophique et métaphysique se nourrit des réalités les plus concrètes, enfin et surtout une écriture poétique et scénique que les gens de théâtre sont les premiers à saluer. Le système de vers libre adopté par Claudel, avec sa souplesse et sa violence conjuguées, son sens infaillible d'un rythme solidement marqué reste, jusque dans ses excès, un modèle d'élocution théâtrale moderne. Pareille force du verbe assure la liberté du metteur en scène : du réalisme le plus poussé à l'abstraction la plus résolue, il suffit qu'il s'accorde à l'élan impérieux du vers.
Tête d'Or est la première grande pièce de Claudel. En trois actes est montré le parcours d'un être d'exception, le paysan Simon Agnel magnifié à partir de l'acte II sous le nom de Tête d'Or. Sous la double pression du malheur et d'un jeune compagnon, Cébès, l'acte I met en scène dans une illumination la naissance de sa force spirituelle chez le héros. On le retrouve à l'acte II général victorieux et, par le meurtre du Roi, s'emparant du pouvoir suprême. L'acte III est celui de sa chute et de sa mort. Il est tombé au cours de la lutte contre les Barbares. La Princesse, fille du Roi assassiné, essaie de faire comprendre au héros l'univers de la tendresse et du don. Mais il lui préfère le soleil qu'il tient sur sa poitrine au moment de mourir.
Sur ce schéma sans grandes surprises, se succèdent les scènes les plus pathétiques : le serment des deux hommes dans la nuit, la violence insoutenable d'un meurtre public et sanglant, le spectacle d'une femme affamée clouée à un arbre comme un oiseau de nuit, le tout survolté par un vers âpre jusque dans ses métaphores. Cette rudesse juvénile a dû compter dans la réécriture, cinq ans après, de son texte par Claudel. La deuxième version, de 1894, est souvent plus accessible et plus polie. C'est elle que Jean-Louis Barrault a adoptée pour la création solennelle de la pièce en 1959. Elle contient un des morceaux les plus célèbres du théâtre claudélien, le salut à l'Arbre, qui constitue une des justifications pour le titre du recueil.
La première de La Ville est sans aucun doute la pièce la plus difficile de tout le théâtre de Claudel. On y retrouve, poussées à l'extrême, les propositions du symbolisme. L'intrigue traditionnelle disparaît totalement. Inspirée par le drame de la Commune, elle se réduit à l'aventure collective d'une ville qu'une révolution détruit et qui finalement renaît. Puissants, les personnages sont tous symboliques ; les mouvements de foules occupent une place essentielle ; à l'acte III écrit après la conversion de Claudel, la liturgie et le débat théologique deviennent prédominants sans que l'effet proprement théâtral s'en trouve amoindri. Mais il arrive par moments que le vers, toujours aussi fort, devienne presque opaque : l'influence de Mallarmé s'est ajoutée à celle de Rimbaud.
On comprend pourquoi Claudel a voulu transformer ce texte. En Chine, en 1897, tout en gardant le même sujet, il procède à une refonte complète, unifiant l'ensemble autour d'un personnage féminin unique, Lâla, et réduisant à sept les divers personnages féminins. C'est cette seconde version que Jean Vilar a créée au TNP en 1955.
La Jeune Fille Violaine a connu plus d'avatars encore puisqu'au delà des deux versions de L'Arbre, c'est elle qui donnera en 1911 naissance à L'Annonce faite à Marie. Enracinée dans le Tardenois natal de l'auteur et dans ses souvenirs d'enfance paysanne, la pièce met en scène un drame qui se joue entre deux sœurs : Mara, la cadette, s'emparant du fiancé de la sœur aînée, et captant la totalité de l'héritage. Violaine, la dépossédée, malgré sa déchéance, n'en ressuscite pas moins l'enfant de Mara. Mais cette dernière la tue. Un apaisement final est apporté par Anne Vercors, le père de famille. D'une version à l'autre, la couleur, la langue et le vers évoluent, mais le drame central reste toujours aussi lyrique et intense.
La Jeune Fille Violaine a pâti de la popularité de L'Annonce faite à Marie. On peut le regretter devant son succès au Théâtre de la Huchette en 1998-1999.
Composé à New York et Boston en 1893-1894, L'Échange est la pièce la plus dépouillée de Claudel : trois actes, un décor naturel unique, deux couples, l'infidélité qui rôde et entraîne la mort. Mais l'énergie impitoyable du verbe assure l'éclat d'un spectacle nourri par la couleur saisissante des quatre personnages : le jeune métis d'indien, celui qui va mourir ; la jeune française qu'il a enlevée et ramenée d'Europe ; le financier de Wall Street aussi jovial que cynique ; l'actrice sudiste enfin minée par le désir et par l'alcool. Créée en 1914 par Jacques Copeau, L'Échange est une des pièces les plus jouées du théâtre de Claudel.
La Chine a inspiré au poète, avec Le Repos du Septième Jour son œuvre la plus ambitieuse. Devant le malheur de son peuple menacé par un retour des morts, l'Empereur de Chine descend aux Enfers pour en connaître la raison et, après d'hallucinants face à face avec sa propre mère et avec le Démon, il remonte, instruit et mutilé, à la lumière pour transmettre à son fils un royaume enfin pacifié. La splendeur rituelle de la Cour, la terrifiante audace des affrontements magiques et surnaturels, la vivacité et la pénétration des dialogues théologiques font de cette œuvre limite la plus somptueuse du premier théâtre claudélien, et une œuvre en même temps que l'on a pu longtemps croire injouable. Elle a pourtant été représentée dès 1928 en Pologne, en Allemagne en 1952, en France enfin en 1965 par Pierre Franck et par Jean Bollery en 1993.
L'Arbre justifie ainsi son titre par la remarquable cohérence que présente le recueil dans les thèmes et dans l'écriture qui, conformes au plus grand symbolisme, font revenir aux endroits les plus variés, la métaphore de l'Arbre, puissance de vie, lien naturel entre la terre et le ciel.
Michel AUTRAND